Résumé
En novembre 2014, ALNAP lançait un sous-groupe de la Communauté de praticiens (CdP) en matière d’interventions urbaines dans le but de recenser les enseignements tirés des aspects urbains de l’action contre la maladie à virus Ebola (MVE) en Afrique de l’Ouest. Informé par les discussions au sein de la CdP, les entretiens et l’analyse de la documentation, ainsi que par des articles des médias,
ALNAP a rédigé quatre brefs rapports sur les enseignements tirés. Trois d’entre eux couvrent les questions ayant trait aux mouvements de population ; au travail dans un contexte de quarantaine ; et à la communication et à la coopération. Le présent rapport étudie diverses problématiques en examinant le cas d’une implantation sauvage urbaine, West Point à Monrovia (Liberia), et son expérience de la flambée de MVE et de la riposte contre celle-ci.
La flambée de MVE en Afrique de l’Ouest aura marqué pénétration pour la première fois de la MVE dans une zone urbaine. L’ampleur inouïe de cette flambée, alliée aux contextes urbains dynamiques au sein de la région touchée, mit considérablement à l’épreuve les intervenants.
Les trois pays les plus affectés — la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone — ont tous connu une croissance urbaine sans précédent ces dernières années. Tous les trois subissent les séquelles de conflits et d’un développement non planifié, et tous ont des problèmes liés aux soins de santé et à d’autres infrastructures connexes, notamment l’eau, l’assainissement et l’électricité.
West Point est un quartier de taudis de Monrovia au Liberia qui, bien qu’étant un township officiel de la capitale, a connu des décennies de croissance et d’expansion anarchiques, en particulier depuis que les personnes internement déplacées suite à la guerre civile libérienne ont commencé à y affluer.
Ce bidonville est aux prises à de sérieux problèmes d’eau, d’assainissement, d’hygiène, d’électricité, d’accès, de régime foncier, d’érosion et de protection, lesquels persistent et sont sans résolution à peu près depuis l’établissement de l’implantation. Malgré ces difficultés, West Point a été décrit comme plutôt cohésif, et grâce à sa proximité à la fois de la côte et de l’activité économique de Monrovia, beaucoup de ses résidents ont un revenu. Au moment de la flambée de MVE, West Point comptait environ 70 000 habitants.
La MVE a atteint Monrovia en juin 2014, étant arrivée dans le pays en mars. Peu de cas furent signalés en avril et mai, ce qui emmena les autorités à croire que la flambée avait été contenue.
Toutefois, il devint évident au cours de l’été que l’échec de la communication, allié au déni, à la méfiance et au scepticisme avait poussé la flambée dans l’ombre, et que la maladie et la mortalité sévissaient sans être signalées. En août, après la découverte par un fonctionnaire en visite à West Point de plusieurs cas de décès dus à la MVE, les pouvoirs publics adoptèrent un plan rapide pour transformer une école du bidonville en centre de rétention pour l’Ebola. En l’espace de quelques jours, le centre de rétention fut ouvert, la communauté protesta violemment, le bidonville entier fut placé en quarantaine puis libéré, suite à des consultations tardives entre le gouvernement et les dirigeants communautaires.
À partir de septembre 2014, c’est la communauté qui prit largement en charge l’action contre la MVE à West Point. Bien que les pouvoirs publics et les acteurs internationaux aient apporté un certain soutien et mis en place un programme, ce sont des volontaires de la communauté de West Point qui s’attaquèrent au démenti, firent signaler les cas et en définitive mirent fin à la crise dans le bidonville, lequel a signalé son dernier cas de MVE en décembre 2014. Les dirigeants de West Point furent par la suite priés d’aider d’autres quartiers de Monrovia à combattre la maladie.
Aujourd’hui, bien qu’exempt d’Ebola, West Point reste un bidonville aux prises à de gros problèmes d’eau, d’installations sanitaires et d’hygiène ainsi qu’à des difficultés environnementales, sociales et politiques. Les quelques mises à jour et améliorations dont le quartier a bénéficié durant l’intervention n’ont pas résolu les questions qui persistaient depuis longtemps avant la flambée. De plus, la méfiance entre la communauté et les pouvoirs publics risque de durer, car l’avenir de West Point et de ses résidents n’a pas encore été déterminé.
L’expérience de West Point de la MVE fait la lumière sur maintes questions examinées à travers cette série, notamment les défis posés lorsqu’une quarantaine est mise en place dans un bidonville densément peuplé, l’importance de la mobilisation de la communauté, en particulier dans un milieu urbain, l’influence fondamentale des mouvements de population sur la composition de la communauté, mais aussi sur les comportements tout au long de la flambée épidémique, et pourquoi il a fallu attendre si longtemps avant l’application d’une réponse adaptée à cette crise largement urbaine.